Le Principe du Vide, Quintessence de la Clef

La synthèse parfaite est antérieure à toute manifestation. Avant de commencer à compter, on doit envisager qu’il n’y a rien. Dans la Bible, l’état qui précède la création est formulé par : Au commencement, Dieu [...] (Genèse 1 1). Comme Dieu dépasse toute possibilité d’interprétation mentale, on peut considérer qu’il s’agit d’un vide conceptuel nécessaire à tout point de départ dans une quête du réel. Ce concept rejoint l’énoncé du Rig Veda (10.129) : Cherchant avec réflexion en leurs âmes, les Sages trouvèrent dans le non-être le lien de l’Être.

Mais, comme le fait remarquer Stephen Hawking : Si réellement l’univers se contient tout entier, n’ayant ni frontières ni bord, il ne devrait avoir ni commencement ni fin : il devrait simplement être. Quelle place reste-t-il alors pour un créateur ? (SHBT, p.179). Cela sous-entend que l’on peut parfaitement envisager la réalité sans y inclure Dieu et sans qu’il soit nécessaire de déterminer à qui revient la création. Le vide conceptuel devient alors une assise de la réalité qui se substitue à une entité imaginaire (Dieu). Exception faite de  la remarque relative au « créateur » 1, cette position est proche de celle du bouddhisme : Du commencement des choses en dernière analyse, j’ai la prescience, ô Bhaggava ; j’ai la prescience de cela et de plus que cela. Ayant cette prescience je n’y attache point d’importance. N’y attachant point d’importance, je connais subjectivement ce calme qui est tel, que le connaissant intuitivement, le Trouveur de Vérité ne tombe dans aucune erreur. (Dīgha-Nikāya III, 28. ACPB, p.77) – Celui qui marcherait selon ce qu’enseigna l’Éveillé (…) atteindrait l’au-delà en partant du non au-delà. (Sutta-nipāta 1129-1130 ; ACPB, p. 251).

 

La nature fondamentale de la clef est vide comme l’éther l’est par rapport aux éléments primaires, tels qu’on les retrouve dans les traditions du monde entier : feu, terre, air et eau 2. Elle est, en cela, conforme aux grands énoncés traditionnels : La Voie est comme un bol vide que l’usage n’emplit jamais, un insondable, origine de toute chose. (Tao teh king, chap. 4) Le concept qui est utilisé ici est celui du zéro duquel sont issus tous les nombres. Si l’on ne prend pas ce vide (zéro) en considération, on perd le point de départ sur lequel est étayée toute la voie. La relation entre Dieu et le vide ayant été perdue de vue, principalement dans les religions monothéistes, l’idée originelle de Dieu a été supplantée par une entité à qui l’on prête des intentions relatives au comportement humain. Sans le vide, on ne peut pas comprendre le plein, ou, comme le remarque Lao tseu : 

  • Trente rayons convergent au moyeu
  • mais c’est le vide médian
  • qui fait marcher le char.
  • On façonne l’argile pour en faire des vases
  • mais c’est du vide interne
  • que dépend leur usage.
  •  
  • Une maison est percée de portes et de fenêtres,
  • c’est encore le vide
  • qui permet l’habitat.
  •  
  • L’Être donne des possibilités,
  • c’est par le non-être qu’on les utilise.

(Tao teh king, chap. 11)

La première fonction de la clef est bien d’ouvrir sur le vide. On comprendra par « vide » aussi bien le «zéro» de l’avant-naissance que la quintessence centrale à toute chose ou l’incommensurable. Cette reconnaissance du vide comme base permet d’éviter de se laisser prendre à l’illusion du monde matériel dont la perception relève des cinq organes des sens. On touche ici un point subtil développé par différentes religions sur la réalité objective des perceptions : Rien n’est réel, au sens où rien n’a une existence indépendante qui lui appartienne en propre, ou n’est rien de plus qu’un phénomène temporaire (lui-même combinaison de millions de phénomènes encore plus fugitifs) ; pourtant tout est réel, au sens où c’est une manifestation de l’être sans attribut et donc insaisissable. (JBVO, p.199) Adopter un tel point de vue conduit à la perception du « non-moi » qui est une prise de conscience du rôle de l’univers dans toute action que l’on croit être individuelle ou conditionnée par une volonté propre. En bref, le vide n’est pas seulement spéculatif, on le rencontre sur tous les plans de la perception.

 

1 Sur lequel le Bouddha ne se prononce ni dans le sens de sa réalité ni dans celui de son irréalité. Cf Cūla-Māluṅkya-sutta, n°63 du Majjihima-nikāya.

2 Ces quatre grands éléments sont à comprendre sur le mode symbolique et non pas formel.

heruka

Pour marque-pages : permalien.

Les commentaires sont fermés.