Ce qui confère au symbole sa fiabilité est sa capacité d’exprimer le réel, son universalité, qui se résume dans l’unité de la totalité. C’est par conséquent la compréhension entière du symbole lui-même qui donne accès à la connaissance, aboutissant ensuite à la réalisation ultime. La certitude une fois obtenue n’a plus qu’un rapport lointain avec le véhicule qui a permis cette réalisation.
L’aspect libérateur du symbole universel est l’un des facteurs qui le rend hautement digne d’intérêt : essentiel. En raison de sa nécessité, quand son sens authentique est perdu, le peuple en adore de faux.
Les textes sacrés des grandes religions ont, pour la plupart, été rédigés comme des aide-mémoire, la tradition ayant toujours été transmise de bouche à oreille. La communication orale contient souvent une intention qui dépasse la formulation des mots. Pour se comprendre, il est nécessaire d’être au même diapason, ce qui implique un niveau de perception proche. Le langage des textes religieux y supplée, en traitant de métaphysique et faisant usage de métaphores, de paraboles, de symboles et de suggestions susceptibles d’indiquer ce qui ne peut être désigné directement.
La Clef de la Connaissance est incontestablement le Symbole par excellence qui ouvre la porte des perceptions. Elle est l’instrument qui permet de pénétrer dans un domaine clos. Il s’agit, ici, d’entrer dans la compréhension de la nature de toute chose. Qu’y a-t-il derrière l’existence passagère ? Quelle est l’assise de l’être en devenir ? À l’évidence, une porte sépare la période de conscience vécue d’avec ce qui était l’avant-naissance et de ce qui sera l’après-mort. Est-il possible de franchir le seuil de l’inconnu et de pénétrer le secret de l’éternité ?
Si l’on en croit les textes sacrés, il existe bien une clef de la connaissance qui lève le voile masquant la nature intrinsèque de l’être en devenir. Symbole universel, la clef est primordiale car elle donne accès au royaume céleste à partir de la condition terrestre, en franchissant les portes de la connaissance, c’est-à-dire en retrouvant la compréhension des écrits traditionnels.
Sans clef, on ne peut que contempler l’enceinte sans pouvoir pénétrer dans le temple de son propre cœur : la réalité n’est pas dans l’apparence extérieure mais au cœur de celle-ci, au point de jonction inaltérable du ciel et de la terre qui constitue le centre de l’être.
Les symboles traditionnels se recoupent tous entre eux, en raison de l’unité fondamentale de toute chose que l’on retrouve dans le mot même d’« univers ». Ceci suppose qu’il ne peut y avoir qu’une seule clef qui ouvre la porte de la compréhension des religions et que celle-ci constitue le carrefour – lieu de jonction – où elles se rencontrent et s’unifient dans la seule, même et unique vérité. En d’autres termes, tous les principes fusionnent dans une synthèse primitive et permanente. De la même façon, tous les dieux (principes ou modalités) se reconnaissent en un seul Dieu (essence ou impulsion originelle) qui les gouverne. Inversement, le Dieu unique se diversifie à travers la création. Il existe donc deux façons de percevoir la clef : soit en partant du postulat de l’unité pour en trouver la confirmation dans la diversité, soit en partant de la diversité pour aboutir à l’unité.
Que la clef soit appelée « joyau », « pierre de touche » ou « philosophale » importe peu, le concept demeure : y a-t-il, oui ou non, une première forme d’expression, racine et assise du savoir ? Si, comme les textes traditionnels le suggèrent, on peut répondre par l’affirmative, comment peut-on en trouver confirmation ?
La clef des symboles est la synthèse et l’assise de la pensée humaine. Il n’est pas possible d’aller plus avant dans la simplicité. L’existence d’un tel concept, inhérent à toute perception, suppose qu’il n’existe qu’une seule réalité pour tous les phénomènes, un seul principe pour toutes les formes, et une seule clef pour tous les principes.
Il est naturel pour les monothéistes de voir en Dieu un principe essentiel et de ne pas aller plus loin dans la réflexion : il n’y a de Dieu que Dieu. Cette attitude s’explique si l’on considère que Dieu ne peut être compris par un esprit humain. Il est incommensurable, c’est-à-dire incomparable et indescriptible. La voie gnostique[1] ne s’épuise pas à décrire Dieu mais cherche à savoir à partir de quel seuil la création devient intelligible. La clef permet l’articulation entre l’exprimable et l’inexprimable, entre le domaine terrestre et le royaume céleste. C’est la frontière ou le point nodal entre l’essence et la substance.
L’unicité de la clef implique qu’il y a une assise universelle commune à toutes les religions véritables, celles-ci ayant pour axe central cette même clef, sous une apparence symbolique plus ou moins transparente. Dès lors, il n’est plus possible à quiconque de prétendre être le détenteur exclusif de la Vérité. La connaissance (gnose) appartient à qui la possède, quelle que soit sa place dans la société. Il est nécessaire de rappeler que la connaissance est liée à la compréhension (prise de possession en soi) et ne doit pas être confondue avec l’érudition.
L’un des grands critères pour aborder la clef passe par le respect de toute la création y compris de soi-même. Cette attitude permet de s’attacher à la vérité où qu’elle soit et de l’accepter quelle qu’elle soit. En matière de religion, la forme est un voile qui cache mais qui, soulevé, déchiré ou écarté, révèle aussi la Réalité. Chaque religion représentant une approche particulière de la même réalité, il serait dommage que l’homme sincère se laisse aveugler par un préjugé lié à une forme particulière. Le Bouddha enseigne que la voie se reconnaît à sa puissance libératrice et que tout ce qui enchaîne ne peut pas être la voie.
Comme il est possible de le constater, toutes les formes d’expression et tout ce que l’homme est capable de percevoir est susceptible d’entrer dans le cadre traditionnel. Tradition dont l’axe principal est, pour l’individu, la signification de l’existence dont l’aboutissement apparent est une tombe. Y a-t-il un plan de stabilité qui puisse laisser espérer une condition permanente ? La réponse la plus évidente est que la mort (ou la décomposition de tout corps composé) constitue en elle-même une constante. Mais personne n’étant jamais réellement revenu de l’autre côté, nul ne pourra dire ce qu’il y a après la mort, sauf si l’on a la capacité de pénétrer au cœur du principe, maintenant, dans l’instant présent. C’est le but d’une religion – au sens de relier la substance à l’essence, la terre au ciel, les créatures au créateur, etc. – d’indiquer le moyen d’y parvenir. La clef des symboles, qui ouvre et ferme les portes de l’entendement, est par excellence le moyen de parvenir à cette réalisation.
En admettant l’existence d’une clef, il reste à la rechercher dans la nature des choses elles-mêmes. Si cette investigation nécessite au départ une certaine confiance, cette approche doit néanmoins exclure toute croyance pour y substituer une connaissance. L’histoire des sciences tout entière n’est que la compréhension progressive du fait que les événements n’arrivent pas de manière arbitraire mais qu’ils reflètent un certain ordre sous-jacent qui peut ou non avoir été inspiré du divin. (Stephen Hawking, Une brève histoire du temps, éd. Flammarion, Paris, 1989, p. 207) L’homme est en mesure d’appréhender la cohérence de cet ordre. On ne parle pas là des sciences qui sont limitées aux frontières de l’expérimentation mais d’intelligence au-delà de toute contrainte, qu’elle soit d’ordre physique ou doctrinal.
Même un vide demeure compréhensible et reste susceptible d’apporter une réponse à l’ordre des choses. Si l’on est capable de comprendre qu’un vide ou un zéro peut être une assise et un instrument conduisant à la transcendance, on doit avoir la possibilité de reconnaître les conditions qui accompagnent ce vide. Le néant est une impossibilité, car s’il avait été à un moment quelconque, il faudrait admettre que rien puisse produire quelque chose ! Ce qui est ne peut advenir de façon arbitraire. Une théorie complète, logique et unifiée n’est que le premier pas : notre but est une complète compréhension des événements autour de nous et de notre propre existence. (Ibid.,p. 155) – L’ultime but de la science est de fournir une théorie unique qui décrive l’univers dans son ensemble. (Ibid., p. 20)Le néant n’étant pas, il y a forcément quelque chose qui relève d’un ordonnancement ou d’une loi établie de toute éternité.
[1] Le terme est employé ici au sens du mot grec gnosis, « action de connaître ».